Ce ne sera pas aujourd’hui. Et pourtant, j’avais tout préparé, tout vérifié, tout compté. Je m’étais assurée qu’ils étaient bien rangés, qu’on ne les trouverait pas, qu’on ne découvrirait pas ce que je prépare, ce qui m’obsède depuis plus de deux jours. Un weekend seulement, qui aurait pu tout faire basculer. Cela fait des années que je n’y avais pas pensé aussi fort, que cela ne m’avait pas envahie de la sorte. J’aurais tout donné pour pouvoir passer à l’action, mettre en application un plan qui me semblait presque parfait. Presque, car comme d’habitude, j’avais une chance sur deux de réussir. Soit 50% de risque d’échouer. Et de me retrouver dans le dernier endroit où je souhaite aller. Je ne veux plus jamais me réveiller à l’hôpital. Je ne veux plus jamais être retenue sous contrainte dans un établissement censé me faire renoncer aux idées qui me hantent. Pour autant, je ne suis pas sûre que mes calculs seront bons, je n’y connais pas grand-chose, alors j’ai envisagé la possibilité que je redoute tant. Je me suis imaginée sur un lit, aux urgences, puis dans une chambre qui deviendrait la mienne. Je me suis imaginée piégée dans une unité où l’on tenterait de me soigner. De me raisonner. Je me suis imaginée, à bout de force, sur ce lit que je ne quitterai pas. J’ai pu imaginer dès à présent, alors qu’il ne s’agit que d’une projection hypothétique, ce que je ressentirais si je me retrouvais dans cette situation. J’ai pu imaginer la résignation qui me maintiendrait apathique, là, sur ce lit.
Il y a quelques semaines, j’ai renoncé à me rendre dans une clinique dont les soins sembleraient adaptés à ma situation. Parce que je refusais de quitter mon lieu de vie. Et voici que je m’imagine, allongée sur ce lit, complètement vide, insensible au fait de ne pas savoir quand je pourrai rentrer chez moi. Cette contradiction me frappe.
Si j’échouais cette fois, je ne me battrais pas, je baisserais les bras. J’essaierais peut-être d’éviter l’hôpital en faisant bonne figure, mais je doute que cela fonctionne, je ne duperai personne. Si l’on me relâche, j’aurais tout gagné. Je retournerai vivre là où je ne me sens pas si mal en fin de compte. Si l’on m’interne, je ferai en sorte que cela ne dure pas. Je ne suis pas sûre de trouver la bonne stratégie, mais ce que j’imagine ne ressemble en rien au comportement que j’ai pu adopter lors de mes précédentes hospitalisations. Je ne m’apitoierai pas sur mon sort, je ne passerai pas des jours à regretter de me retrouver là, enfermée, prisonnière. Je me reposerai. Je déposerai les armes, et je me rendrai, je capitulerai. J’en profiterai même pour ne plus manger, pour perdre un peu de poids. Je ne laisserai pas l’hyperphagie gagner mais la dépression aura le dessus sur moi. Cette perspective ne m’effraie pas bien qu’elle ne me procure aucune forme de joie. Je préférerais mille fois rester chez moi. Mais si c’est impossible, je ne me battrai pas. Dans tous les cas, je finirai bien par sortir. On ne garde personne indéfiniment.
Si j’échoue, je ne recommencerai plus jamais.
J’ai déjà cru que je n’irai plus jamais à l’hôpital. Si j’y retourne une fois de plus, je le supporterai, mais une fois seulement. Le pire, c’est que je peux éviter cette issue. J’ai toutes les cartes en main pour ne pas me retrouver dans cette situation. Il suffit de ne pas mettre mon plan à exécution. Cela m’épargnerait, et m’éviterait de causer de la peine à mes proches. Il me suffit de ne rien faire, de ne pas passer à l’action, de poursuivre ma vie telle que je la connais. D’où m’est venue cette idée qu’il était temps pour moi d’en finir aujourd’hui ? Comment ces idées noires sont-elles pu revenir, se frayer un chemin au cœur de mon esprit ? Je l’ignore mais je doute pouvoir faire machine arrière. Quand une graine se plante, elle ne peut que germer et pousser jusqu’à prendre la forme qui lui est destinée.
Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un simple ajustement qui consiste à modifier mon traitement. Une simple molécule pourrait-elle provoquer cet effet dévastateur ? Ces idées disparaîtront-elles si je reprends le médicament que j’avais arrêté brutalement ? Cela me semble gros, trop beau pour être vrai.
Et pourtant, je viens d’appeler à l’aide, de contacter la seule personne qui pourrait m’aider sur le plan médical. Je ne veux vraiment pas retourner à l’hôpital, mais si j’étais certaine que mon plan fonctionnerait, je le tenterais. D’un côté, j’ai envie d’essayer malgré tout, mais je crois qu’il s’agit d’un appel au secours, d’une démonstration, car de l’autre côté, je suis capable de me dire que ce n’est pas nécessaire, que je peux obtenir l’aide dont j’ai besoin sans passer par une mise en scène dramatique.
Leave a Reply